Il entre au Panthéon : Missak Manouchian l'Arménien, l'homme engagé, le résistant, le poète francophile

Le 21 février, jour du 80e anniversaire de l’exécution de vingt-deux résistants dont il était le leader, Missak Manouchian va entrer au Panthéon avec son épouse et sa partenaire de lutte, Mélinée. À travers eux, la Nation célèbre l’engagement des étrangers dans la Résistance, mais aussi une passion pour la France, pays d’accueil de ces orphelins apatrides, et sa culture.

L’Arménien Missak Manouchian, mort fusillé à 37 ans avec vingt et un de ses camarades au Mont Valérien, en banlieue ouest de Paris le 21 février 1944, et son épouse Mélinée, gardienne de sa mémoire jusqu’à son décès en 1989, incarnent un couple emblématique à bien des égards dans leur lutte au sein de la Résistance, mais aussi dans leur relation avec la France.

Quatre-vingts ans après son assassinat, Missak Manouchian devient le premier résistant étranger, et communiste, à intégrer l’illustre temple mémoriel. Son nom, son visage grave et ombrageux, immortalisés par l’Affiche rouge réalisée par les nazis pour faire un exemple de ce “terroriste” arménien et de ses compagnons d’armes juifs polonais et juifs hongrois entre autres, symbolisent à jamais le groupe dont il avait pris la direction militaire à Paris.

Symbole du rôle des étrangers dans la Résistance

Missak Manouchian incarne la contribution des étrangers à la Résistance dans la France occupée. L’accueillir au Panthéon, “c’est la reconnaissance de cette composante si importante de la Résistance française”, soulignait l’historien Denis Peschanski en juin 2023 sur Franceinfo, assurant qu’au travers de lui, seraient honorés “tous les étrangers qui ont combattu en France”.

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Missak Manouchian n’a pas attendu que la France soit occupée pour prouver sa loyauté et son attachement envers ce qu’il considérait, comme beaucoup de gens dans le monde, comme le pays des Lumières et des droits de l’homme. Au cours des années 30, face à l’avènement de régimes fascistes dans plusieurs pays d’Europe, et à la montée de l’extrême droite en France marquée par la manifestation et les émeutes du 6 février 1934 à Paris, il s’engage politiquement. De six ans sa cadette, Mélinée Assadourian, également rescapée du génocide des Arméniens, a fait de même. Leur militantisme est à l’origine de leur rencontre. Leurs parcours se ressemblent, ils partagent le même idéal. Ils se marieront le 22 février 1936.

À son arrivée en France, Missak Manouchian a connu le milieu ouvrier – ses conditions de vie difficiles et son esprit de solidarité – à la Société des Forges et des Chantiers de la Méditerranée à la Seyne-sur-Mer, puis, plus tard à Paris, aux usines Citroën, quai de Javel. Le jeune homme adhère naturellement au Parti communiste français qui était très actif, depuis les années 1920, auprès des milliers de travailleurs immigrés affectés aux usines et aux mines. Le PCF lui apparaît aussi comme un rempart au fascisme, d’autant plus que l’heure est à l’union de la gauche qui aboutit à la victoire du Front populaire en 1936. Le fascisme, Missak et Mélinée Manouchian connaissent. Il leur a pris leurs parents, leur patrie et un million et demi de leurs compatriotes.

Un engagement politique, puis militaire

De l’engagement politique à l’engagement militaire, il n’y aura qu’un pas. Manouchian a pris ses responsabilités avant-guerre. Il ne faillit pas quand la France entre en guerre contre l’Allemagne nazie en 1939. Pourtant, au moment où le conflit éclate, il est en prison à La Santé, à Paris. À la suite du pacte de non-agression conclu entre Staline et Hitler, les organisations et mouvements liés au PCF sont dissous et de nombreux communistes arrêtés. L’ensemble de cette force politique est secoué par cette alliance, et se divise. Pour Manouchian, le choix est fait. Depuis sa cellule, il se déclare volontaire pour s’engager dans l’armée française et rejoint la caserne de Colpo, dans le Morbihan.

Après la débâcle de l’armée et la capitulation, son combat devient clandestin. Il retrouve l’organisation que le PCF avait créée pour fédérer les travailleurs étrangers, la MOI, Main-d’œuvre immigrée, au sein de laquelle il avait occupé ses premiers postes à responsabilité avant-guerre. La MOI est devenue l’un des mouvements constitutifs du bras armé du PCF, les Francs-Tireurs et Partisans (FTP). Et la MOI se divise elle-même en plusieurs détachements de résistants. Missak Manouchian rejoint l’un d’eux au début de l’année 1943. Puis, à la suite d’une réorganisation impulsée par le PCF, il devient le chef militaire de l’ensemble des FTP-MOI. C’est dans ces nouvelles fonctions que son destin sera scellé, tout comme celui de la majorité de ses compagnons d’armes. Pour échapper à une mort certaine, Mélinée, également membre de la résistance, sera cachée par les Aznavourian, les parents de Charles Aznavour.

Un goût pour la France né à l’orphelinat

Missak Manouchian est mort pour la France. Son désir était de vivre pour la France, avec Mélinée, et de vivre français. Malgré l’échec de ses tentatives de naturalisation, pas rancunier, Missak l’Arménien, l’orphelin, le survivant, l’apatride, ne garde aucune rancune. Son intérêt pour la France a germé il y a bien longtemps, bien loin, dans l’orphelinat libanais qui l’avait accueilli après le génocide. Un instituteur l’avait alors initié à la poésie. Par la suite, Manouchian a cultivé sa passion pour les écrivains et les poètes français comme Rimbaud, Verlaine ou Baudelaire. À Paris, inscrit en auditeur libre à l’université de la Sorbonne, il a fréquenté quotidiennement la bibliothèque Sainte-Geneviève afin de dévorer les grands classiques. Dans les journaux arméniens qu’il a cofondés et animés avant la guerre, il a publié ses propres poèmes, mais il a également traduit en arménien les poèmes français pour ses compatriotes en exil. Et comme un ultime symbole de son attachement à son pays d’adoption, Missak Manouchian a signé de son prénom français, Michel, sa lettre de condamné à mort.

Lettres, poésie, transmission… C’est peut-être ce à quoi Missak Manouchian se serait consacré s’il avait vécu. C’est ce que Mélinée a fait un certain temps après la guerre, accueillie en Arménie soviétique. Elle y a enseigné le français, a écrit un livre sur son mari et a publié ses poèmes. Mais le stalinisme ne correspondait pas à ses rêves de jeunesse… Elle est rentrée en France au début des années 60, à la faveur de la déstalinisation, obtenant l’autorisation de partir pour soigner de graves ennuis de santé. Enterrée au cimetière d’Ivry-sur-Seine, dans le Val-de-Marne, auprès de son mari et d’autres combattants de la MOI, elle suivra Missak Manouchian au Panthéon le 21 février.

Il faut rappeler que les Manouchian ne sont pas le premier couple à entrer au Panthéon. En juillet 2018, Simone Veil a rejoint l’illustre temple avec son époux Antoine. Et plus d’un siècle plus tôt, en avril 1907, le chimiste et ancien ministre Marcellin Berthelot y avait été accueilli avec son épouse Sophie, surnommée “l’inconnue du Panthéon”… Mélinée est tout sauf une inconnue. Destinataire de l’ultime missive de son époux, missive que Louis Aragon a reprise et immortalisée par un poème dans les années 50, elle est restée loyale envers Missak tout au long de sa vie. Au point de ne jamais se remarier, alors que dans sa lettre de condamné à mort, il lui avait demandé de vivre, d’avoir un enfant. Ce couple restera donc uni pour l’éternité.

> À voir mardi 20 février 2024 à 21h10 sur France 2 : le documentaire Manouchian et ceux de l’Affiche rouge, un film de Hugues Nancy et Denis Peschanski. Disponible sur la plateforme france.tv à partir du 20 février à 6h00, et pour cinq mois.

> À voir le 18 février sur France 2 dans “13h15 le dimanche” : Manouchian, de Daniel Rihl et Clément Magnin, coécrit par Florence Kieffer.

> La cérémonie au Panthéon est retransmise en direct mercredi 21 février dès 17h10 sur France 2.

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