En Inde, la Cour suprême révolutionne le financement de la vie politique

en inde, la cour suprême révolutionne le financement de la vie politique

Vue du bâtiment de la Cour suprême indienne, à New Delhi, le 11 décembre 2023.

La réforme remonte à 2017. A l’époque, le gouvernement de Narendra Modi fait adopter une loi qui crée des «obligations électorales» («electoral bonds»), présentées comme un moyen de formaliser les dons aux organisations politiques et de «nettoyer le financement politique» en réduisant la place du liquide. Sur le papier, le principe est simple : toute entreprise ou individu qui veut faire un don politique de plus de 20 000 roupies (225 euros) peut acheter ces «bons» auprès de la banque publique State Bank of India (SBI), qui enregistre leur nom et leur remet cette obligation.

La transparence, toutefois, s’arrête là, car le nom de l’acheteur est gardé secret par la banque et le donateur peut remettre ce bon au parti de son choix, toujours anonymement. Les électeurs n’ont donc aucun moyen de savoir quelle entreprise finance quelle formation politique. En revanche, la banque publique indienne, elle, détient ces informations, ce qui permet au pouvoir qui la contrôle de les obtenir et de s’en servir pour faire pression sur les donateurs de l’opposition.

A l’époque, la Banque centrale et la Commission des élections s’étaient opposées à cette réforme, arguant que ce système était opaque et pouvait même permettre le blanchiment d’argent. Mais le gouvernement n’avait pas tenu compte de leur avis. Dès son adoption, ce système a été contesté devant la Cour suprême par l’Association pour les réformes démocratiques (ADR), pour qui il permettait notamment aux grandes entreprises d’influencer le gouvernement de manière cachée. Un constat appuyé, a plaidé l’association, par le fait que 94 % des «bons électoraux» ont été achetés en dénomination de 10 millions de roupies (112 000 euros) – donc par de riches donateurs.

Entre 2017 et 2022, selon les recherches d’ADR, environ 1 milliard d’euros d’obligations électorales ont atterri dans les caisses des partis indiens, ce qui en faisait la première source de financement politique. Surtout, 57 % de ces bons sont allés au BJP au pouvoir (près de 600 millions d’euros), soit davantage que pour les 30 autres principaux partis combinés.

«C’est historique»

Au cours de la procédure, le procureur général indien a défendu, au nom du gouvernement, l’anonymat de ce système de financement, affirmant que les électeurs n’avaient «pas de droit constitutionnel de savoir qui finance leurs partis politiques». Un argument balayé ce jeudi 15 février par la Cour suprême, qui considère à l’inverse que les obligations électorales violent l’article 19 de la Constitution, défendant le droit des citoyens à l’information. «L’information sur le financement des partis politiques est essentielle à l’exercice effectif du droit de vote», indique notamment l’arrêt de la Cour.

Les cinq juges de l’instance constitutionnelle ont également condamné un autre aspect de cette réforme. Pour la première fois, la loi du gouvernement Modi permettait à des filiales d’entreprises étrangères basées en Inde de financer des partis politiques du pays. Un risque sécuritaire important au regard des conflits frontaliers latents avec la Chine et le Pakistan voisins, et une disposition contradictoire avec la politique nationaliste du BJP, qui a poursuivi récemment pour terrorisme le média NewsClick car il aurait reçu des fonds d’investisseurs chinois.

Cette réforme avait également supprimé les plafonds de financement politique pour les compagnies indiennes et autorisé les entreprises non rentables – et donc potentiellement des sociétés écrans – à contribuer, tout en les dispensant de déclarer ces donations dans leurs comptes. Les juges ont ordonné l’annulation de toutes ces dispositions et demandé le remboursement des bons récemment émis. «C’est historique, a réagi l’éminent avocat Sanjay Hegde. La Cour suprême a jugé que l’argent des grandes entreprises ne pouvait pas influencer notre démocratie, surtout si c’est fait anonymement.»

Contre-pouvoir

Pour les bons déjà encaissés par les partis, et donc non remboursables, la SBI devra partager toutes les informations sur les acheteurs et les bénéficiaires. Elles seront diffusées par la Commission des élections d’ici le 13 mars, soit juste avant le scrutin législatif qui devrait débuter mi-avril. Pour le fondateur et dirigeant d’ADR, Jagdeep Chhokar, qui a lancé cette bataille judiciaire en 2018, c’est un soulagement : «Les Indiens vont enfin savoir quelle entreprise a financé quel parti.»

Ces informations pourraient se révéler d’autant plus importantes que le gouvernement de Narendra Modi a été accusé, ces dernières années, de favoriser Gautam Adani et Mukesh Ambani, à la tête de deux grands groupes indiens. «Les bons électoraux n’étaient qu’une manière de financer les partis politiques, nuance toutefois Jagdeep Chhokar. Et il y a encore beaucoup de sources de financement douteuses ou illégales.»

L’annulation de ce système de financement électoral représente un revers significatif pour le gouvernement de Narendra Modi, et elle souligne l’importance du rôle de la Cour suprême comme contre-pouvoir en Inde. Un rôle qu’elle semblait avoir abandonné ces dernières années, mais qui est essentiel dans un contexte où toute opposition au BJP est férocement réprimée. Cela ne devrait toutefois pas changer radicalement le financement de la campagne des législatives, étant donné que le BJP est déjà largement plus riche que tous ses concurrents.

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