De star du gaming à fleuron de l'IA: comment Nvidia a surpassé Google et Amazon

Nvidia vient de devenir la quatrième entreprise la plus valorisée au monde, grâce à l’explosion de l’intelligence artificielle.

C’est officiel, la valorisation boursière de Nvidia vient de dépasser celle d’Amazon et Alphabet, la maison mère de Google. De janvier à mai 2023, la valorisation du fabricant de processeurs a triplé pour dépasser les 1.000 milliards de dollars. Un succès qu’il tire directement de son quasi-monopole sur les GPU et autres composants électroniques indispensables pour faire tourner les IA d’aujourd’hui et de demain. Mais comment expliquer qu’une entreprise “de niche” parvienne à faire de l’ombre à des géants de la tech investis sur une multitude de secteurs à la fois?

Le siège de Nvidia aux Etats-Unis

Nvidia, la naissance d’une référence en gaming

Nvidia est fondée en 1993 à Santa Clara par Jensen Huang, Chris Malachowsky et Curtis Priem. Tous font le pari que le PC deviendra incontournable pour le multimédia et les jeux vidéo. En 1994, un premier partenariat est signé avec SGS-Thomson Microelectronics (devenu STMicroelectronics) pour fabriquer une puce d’accélération pour interface graphique. L’année suivante la puce NV1 voit le jour pour équiper la console Saturn de Sega.

La suite est marquée par plusieurs percées dans le domaine du graphisme 3D (DirectX en 1996, RIVA 128 en 1997, GeForce en 1999…) et ses efforts coïncident avec la montée en puissance du gaming. Les années 1980-1990 signent l’explosion de l’industrie du divertissement numérique avec une jungle de jeux plutôt médiocres qui envahissent le marché. Une bulle éclate dans la foulée et ce n’est que 10 ans plus tard que la démocratisation du vidéoludique s’opère, notamment grâce à l’arrivée massive du jeu en ligne. C’est d’ailleurs à ce moment que Sony rafle la mise avec la sortie de la PlayStation 2, la console de jeux vidéo la plus vendue de l’histoire avec plus de 157 millions d’exemplaires écoulés.

Pendant ce temps, le jeu sur PC prend aussi de l’ampleur, à l’image de World of Warcraft qui devient un phénomène planétaire dès sa sortie en 2004. Et pour assurer un rendu graphique en 3D optimal, l’éditeur Blizzard fait justement appel à Nvidia et sa technologie SLI. Un an plus tard, c’est au tour de Sony de demander à Nvidia de développer le processeur graphique de sa Playstation 3.

Années 2010: début d’une bataille acharnée avec AMD

La marque au caméléon devient donc une référence inégalable dans le monde du gaming. Mais d’autres concurrents sont aussi prêts à se frayer une place sur ce marché en plein boom comme Intel et surtout AMD. Dans le monde du gaming, le choix entre Nvidia ou AMD est devenu un lieu commun et les deux constructeurs son toujours engagés dans une bataille acharnée, notamment sur le domaine des cartes graphiques.

Cette course à la 3D entre rouge (AMD) et vert (Nvidia) commence en décembre 2000 lorsque Nvidia rachète le producteur de cartes graphiques 3dfx pour 120 millions de dollars. De son côté, AMD rachète ATI pour 5,4 milliards de dollars en 2006. Et encore aujourd’hui, cette concurrence effrénée se poursuit: entre les GeForce RTX 40 de Nvidia d’un côté, et les Radeon RX 7000 d’AMD de l’autre.

Années 2020: du bitcoin à l’IA générative

Entre 2020 et 2021, les cryptommonnaies connaissent un boom sans précédent et Nvidia en profite pour vendre un grand volume de cartes graphiques. Car, pour miner des crypto-actifs, il faut en effet disposer d’une puissance de calcul robuste et fiable. Si bien que, pendant cette période, Nvidia et AMD ont réalisé des milliards de dollars de bénéfices en vente grâce à ces mineurs. Mais Nvidia n’a jamais réellement accepté que ses GPU soient utilisés pour du minage ; elle les a par exemple bridés dès 2021 pour empêcher les fermes de minage de fonctionner. Dans une interview accordée à Guardian en mars 2023, le directeur technique Michael Kagan a confirmé à nouveau cette position:

Tout ce truc crypto, il avait besoin de composants spécifiques, et Nvidia est le meilleur, donc les gens viennent les programmer (NDLR : les GPU de le marque) pour les utiliser à cette fin. Ils ont acheté beaucoup de choses, puis finalement, elles (NDLR : les cryptos) se sont effondrées, parce qu’elles n’apportent rien d’utile pour la société.

Aujourd’hui, c’est au tour de l’intelligence artificielle d’être sous les feux des projecteurs avec l’arrivée retentissante de ChatGPT en novembre 2022, qui a capté en seulement deux mois plus de 100 millions d’utilisateurs.

Dans la foulée, Microsoft décroche un contrat exclusif avec son éditeur OpenAI pour intégrer ce chatbot intelligent dans son moteur de recherche Bing et toute la concurrence s’aligne: dès mars 2023, Google décide de lancer sa propre IA générative baptisée Bard (devenue Gemini). De l’autre côté du Pacifique, le mastodonte chinois Baidu donne également naissance à Ernie. Même Mark Zuckerberg décide de prendre ce virage: deux ans après avoir fait du métavers son nouveau cap et 36 milliards de dollars plus tard, le fondateur de Meta (Facebook) semble résigné à quitter discrètement le bateau du Web3 pour s’agripper au train de l’IA.

Nvidia mise tout sur l’IA et les CPU

Mais c’est bien Nvidia qui tire le plus son épingle du jeu car elle a l’avantage d’être investie en amont de la chaîne de production des IA. L’une de ses dernières puces spécialement conçue pour faire tourner de l’IA, la H100, est fortement convoitée et peut se vendre jusqu’à 37.000 euros l’unité. Elle alimente aujourd’hui la majeure partie des LLM (modèles de langage via IA) comme ChatGPT ou encore d’autres projets d’IA plus généralistes chez Microsoft, Meta ou Amazon.

La majorité des ventes de puces d’IA sont attribuées à ces mêmes géants de la tech, les poussant justement à se livrer à une course effrénée aux puces d’IA afin de renverser le monopole de Nvidia.

Intel et AMD sont aussi sur le coup et espèrent concurrencer la nouvelle puce H200 que Nvidia devrait sortir prochainement, avec plus de capacité de mémoire et de bande passante. Ainsi, Nividia ne se contente plus de délivrer des cartes graphiques pour satisfaire les férus de gaming et engage des moyens colossaux pour conserver sa main-mise sur l’amont de la chaîne de l’IA. Le 9 février dernier, Reuters révélait que le constructeur a déployé une unité de conception de puces sur-mesure, un marché qu’il estime à 30 milliards de dollars.

Et si cela ne suffisait pas, Nvidia a annoncé vouloir fabriquer des puces PC basées sur Arm, l’entreprise britannique à l’origine de l’architecture des processeurs de tous les mobiles au monde. Après une tentative avortée de rachat, Nvidia a discrètement mis en route la conception d’unités centrales de traitement (CPU) pour PC. Tout comme AMD, Nvidia prévoit de commercialiser ses premiers processeurs sur Arm pour PC Windows dès 2025. Une stratégie qui sans doute lui permettrait de devancer Intel et ainsi devenir le premier constructeur de composant informatique au monde.