« Il y a beaucoup de femmes migrantes mais elles sont invisibles »

«Ã‚ Il y a beaucoup de femmes migrantes mais elles sont invisibles »

Alors que des milliers d’exilés sont arrivés ces derniers jours sur l’île italienne de Lampedusa, la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen s’est rendue sur place, aux côtés de la présidente du Conseil Giorgia Meloni. Elle a annoncé la mise en place d’un plan d’urgence et appelé les autres pays européens à accueillir une partie des migrants pour soutenir l’Italie.

Très investie sur le terrain, où elle accompagne et aide les personnes migrantes à leur arrivée en France, que ce soit à Paris ou à Calais Grande-Synthe, l’association Utopia 56 connaît bien leurs profils, leurs parcours et leurs problématiques. Yann Manzi, son cofondateur, a accepté de répondre aux questions du Point.

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Le Point : Quelle est la situation des personnes migrantes en ce moment à Paris ?

Yann Manzi : Leur situation est dramatique, elles sont laissées à la rue. Les arrivées sont un peu plus importantes que d’habitude en ce moment, que ce soit à Paris ou à Grande-Synthe (59), comme on le constate aussi au niveau européen.

D’où viennent les personnes qui arrivent ?

Beaucoup viennent d’Afrique de l’Ouest, du Mali, du Sénégal et de la Côte d’Ivoire? Des pays francophones et d’anciennes colonies, françaises ou européennes, car les exilés visent des pays dont ils partagent déjà la langue, et où ils ont éventuellement de la famille, ou au moins une communauté qui puisse les aider. Il y a aussi des Afghans, des Soudanais et des Érythréens, qui fuient la guerre et la mort et continuent de venir chez nous ou dans d’autres pays d’Europe.

Mais il faut rappeler que la très grande majorité des 200 millions de migrants dans le monde s’exilent dans un pays voisin du leur. La majorité des mouvements migratoires ont ainsi lieu à proximité des pays de départ, car les exilés n’ont pour la plupart pas les moyens d’aller plus loin. Une partie des populations qui aimeraient partir ne le font d’ailleurs pas : en réalité, très peu de gens parviennent à atteindre l’Europe.

Quel est le profil de ceux qui y parviennent ?

On voit beaucoup d’hommes dans les images diffusées par les médias, mais nous, sur le terrain, nous voyons aussi beaucoup de femmes. Elles n’ont souvent pas le même parcours migratoire, certaines entrent avec des visas étudiants ou de tourisme, et sont moins présentes sur les bateaux. Nous les appelons les « invisibles », car on ne les voit pas. Elles ne rentrent pas dans les dispositifs d’aide ou n’en font pas la demande, et cherchent plutôt à se fondre dans la masse pour se débrouiller seules ou avec leurs enfants.

À Calais et Grande-Synthe, les profils diffèrent un peu : il y a beaucoup de familles qui viennent du Kurdistan, qui fuient la Syrie, la Turquie ou l’Irak et tentent de rallier le Royaume-Uni. Les Afghans aussi s’exilent en famille pour fuir les talibans.

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Nous sommes également confrontés à des mineurs étrangers qui viennent seuls de tous ces pays. On rencontre beaucoup de jeunes, certains âgés d’à peine 13 ans, qui viennent d’Érythrée, du Soudan, d’Afghanistan. Il n’y a par contre pas de vieillard : le périple de la migration est beaucoup trop complexe pour des populations âgées. Je dirais que la très grande majorité a entre 12 à 40 ans.

À quoi ressemble leur parcours ?

Les exilés d’Afrique de l’Ouest, les Soudanais et les Érythréens passent par la Méditerranée, une partie depuis la Libye, et une autre depuis le Maroc ou la Tunisie. Les Afghans traversent eux les pays de l’Est ou la Turquie, puis tentent de remonter vers nous. Ils sont nombreux à rester bloqués en Turquie, à la suite d’accords passés avec l’Union européenne pour les décourager de migrer. Beaucoup entrent en Europe depuis l’Italie, la Grèce ou l’Espagne. Les portes d’entrée choisies varient en fonction des obstacles dressés pour les empêcher d’arriver.

Ils sont de plus en plus nombreux à arriver dans une détresse totale au vu du parcours qu’ils ont eu. Ce sont souvent des personnes cassées et traumatisées par le voyage, notamment dans les pays avec lesquels l’Union européenne a passé des accords migratoires pour les empêcher de venir. Beaucoup ont subi des violences.

En raison de la fermeture des routes migratoires, des difficultés à obtenir un visa, ou à déposer un dossier administratif de demande d’asile depuis un pays en conflit, la migration demande de plus en plus d’argent aux personnes qui veulent s’exiler. Elles doivent passer par des filières mafieuses, et leur périple s’en trouve de plus en plus dangereux. Les pays tiers sur leur chemin tirent profit de leur passage : en Libye, des personnes sont enfermées et on demande des rançons à leurs familles restées au pays pour leur permettre de monter sur un bateau, tandis que la répression est une réalité en Turquie et en Tunisie. N’oublions pas que des dizaines de milliers de personnes meurent sur la route.