Lampedusa : qu’est-ce que le pacte migratoire européen, qui entend réformer le système d’asile ?

Lampedusa : qu’est-ce que le pacte migratoire européen, qui entend réformer le système d’asile ?

La petite île de Lampedusa est redevenue la semaine dernière le centre des débats sur l’immigration en Europe. Entre lundi et mercredi dernier, environ 8 500 personnes, soit plus que l’ensemble de la population de Lampedusa, sont arrivées à bord de 199 bateaux, selon l’agence des Nations unies pour les migrations. De quoi relancer les tensions sur l’épineuse question de la solidarité européenne face aux migrants.

Dimanche, la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen a présenté depuis l’île un plan d’urgence destiné à gérer l’urgence des flux migratoires vers l’Italie, affirmant au passage que l’immigration irrégulière avait besoin d’une « réponse européenne ». Un appel qui rappelle la difficulté des tractations au sein de l’Union, alors que les Etats membres discutent depuis trois ans pour adopter le Pacte sur la migration et l’asile.

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Présenté à la Commission européenne en septembre 2020, ce texte est censé déboucher sur un système de solidarité entre Etats membres dans la prise en charge des réfugiés, et permettre de renforcer la lutte contre l’immigration illégale. Mais les discussions se sont enlisées à la Commission. « L’Obs » revient sur ce pacte très attendu.

· Que contient ce pacte ?

Le système européen sur l’asile a été mis en place au début des années 2000 par un premier « paquet législatif », qui posaient des normes minimales concernant l’asile, puis avec l’adoption du règlement de Dublin en 2013. Ce dernier prévoit que la gestion des flux de migrants incombe au premier pays d’arrivée des migrants en Europe. En l’occurrence, la Grèce, l’Italie et l’Espagne dans le cas des arrivées par la voie maritime.

En 2016, dans le sillage de la guerre en Syrie, un troisième pacte a été proposé, mais n’a jamais été adopté, face notamment à l’hostilité des pays européens membres du groupe de Visegrad (la Hongrie, la Pologne, la République tchèque et la Slovaquie) « opposés à toute volonté de limiter la charge des pays en première ligne », explique Marie Laure Basilien-Gainche, professeure de droit public à l’université Jean-Moulin à Lyon 3.

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Un nouveau pacte a donc été présenté en septembre 2020 par la Commission européenne, dirigé par Ursula von der Leyen. Celui-ci traite principalement de la protection des frontières de l’espace européen et entend rééquilibrer la charge de la gestion de l’immigration, estimant « qu’aucun Etat membre ne devrait se voir imposer une responsabilité disproportionnée », selon la Commission européenne sur son site.

L’accord, encore en négociations, entend introduire plus de « flexibilité » en cas de nouvelle crise dans un pays sous pression, avec le déclenchement d’un « mécanisme de solidarité » pour tous les autres Etats membres, qui auraient le choix entre accueillir un certain nombre de demandeurs avec un soutien financier de l’UE, financer le retour de migrants ou réfugiés dans leur pays d’origine ou de transit, ou d’aider l’Etat « sous pression » à continuer son accueil, de manière financière ou par la construction de centres d’accueil.

«Â Ce pacte ne change pas grand-chose par rapport à ce qui a été prévu dans la réforme de 2016, explique Marie-Laure Basilien-Gainche. Il a reformalisé les choses ; il a ajouté des éléments qui accusent la dimension restrictive des politiques européennes d’immigration et d’asile en prévoyant des procédures de screening[filtrage, NDLR] aux frontières, des procédures d’asile à la frontière, ainsi que des procédures de retour à la frontière. Ces procédures sont problématiques car elles semblent reprendre le modèle des hotspots – comme [le camp de] Moria à Lesbos », estime-t-elle.

· Pourquoi les discussions durent-elles ?

Les discussions entre les Etats membres durent depuis maintenant trois ans, mais à l’échelle européenne, ces négociations ne sont pas si longues, souligne Marie-Laure Basilien-Gainche, qui rappelle que « le délai d’adoption d’un texte à l’UE est souvent de trois ou quatre ans » en raison d’un dispositif d’adoption « rigoureux ».

«Â Le projet initial du projet fait plus de 600 pages : il comprend un grand nombre de règlements, quelques directives, des mesures totalement nouvelles comme la question du screening à la frontière ou le projet sur l’instrumentalisation des migrations, des modifications du droit existant comme la directive retour ou le code frontières Schengen… Il est normal que les négociations soient longues », explique-t-elle.

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A cela s’ajoutent des difficultés, « notamment sur les mécanismes de solidarité entre les Etats membres de l’UE pour mieux répartir la charge de l’accueil des migrants et des réfugiés ». « Les pays du groupe de Visegrad se sont annoncés opposés à l’adoption des textes composant le pacte », explique-t-elle, estimant que des tensions au sein des discussions sont certaines.

L’enlisement des discussions a toutefois mené à de nombreux compromis, dont certains craignent qu’ils retirent son impact au texte, notamment la possibilité de s’acquitter d’une forme d’amende plutôt que d’accueillir des personnes. Faute d’avancée, le Parlement européen a adopté mi-juillet une résolution pour renforcer les moyens de Frontex dans les opérations de sauvetage.

· Quand le texte sera-t-il adopté ?

Ces discussions, toutefois, connaissent des développements. Dernières avancées en date : l’accord en juin des ministres européens de l’Intérieur sur deux volets clés du pacte, le mécanisme de solidarité et la procédure de filtrage. « Les textes sont pratiquement tous en fin de trilogue, sauf le projet sur l’instrumentalisation de la migration qui rencontre beaucoup de difficultés au niveau du Parlement », assure Marie-Laure Basilien-Gainche.

En juin, le Premier ministre hongrois Viktor Orban a toutefois fustigé un accord « inacceptable » destiné à « transformer par la violence la Hongrie en un pays de migrants », tandis que son homologue polonais Mateusz Morawiecki annonçait en août la tenue prochaine d’un référendum sur la nouvelle politique européenne.

Le Parlement européen et le Conseil de l’UE se sont engagés à finaliser ce pacte pour février 2024, soit quatre mois avant les prochaines élections européennes, prévues en juin. Vendredi, la ministre Catherine Colonna a quant à elle jugé sur LCI « impératif » que les négociations puissent se terminer « avant la fin de l’année ».