En annonçant vouloir mettre fin au droit du sol à Mayotte, Gérald Darmanin préfère le pragmatisme au respect du principe d’une République indivisible.
Respect des principes, ou adaptation au contexte ? Dans ce débat aussi vieux que la politique, Gérald Darmanin a choisi son camp. En débarquant à Mayotte, ce dimanche 11 février, le ministre de l’Intérieur et des Outre-mer a annoncé le projet du gouvernement, une « décision radicale : l’inscription de la fin du droit du sol à Mayotte, dans une révision constitutionnelle que choisira le président de la République. »
Il s’agit, bien sûr, de répondre à une urgence : la petite île de l’océan Indien, devenue département français en 2011, est submergée par des vagues d’immigration en provenance des Comores et d’Afrique. Depuis qu’elle a décidé de rester française par référendum en 1974, Mayotte a vu son destin diverger considérablement de l’archipel des Comores voisin, qui est sept fois plus pauvre. Chaque jour, des Comoriens viennent tenter leur chance, embarqués à bord de kwassa-kwassa (des canots de pêche) pour débarquer à Mayotte. Un habitant sur deux de l’île n’est pas français, ce qui représente le taux le plus élevé d’étrangers dans un département national.
Jacobinisme en péril ?
Les femmes étrangères viennent profiter des infrastructures françaises pour accoucher dans de bonnes conditions. L’Insee estime ainsi que les mères nées hors de France ont mis au monde près de 70% des bébés à Mayotte en 2022. Ces Comoriennes espèrent en outre faire bénéficier à leurs enfants du droit du sol. Ce principe, institué par le Code civil en 1804 mais déjà en vogue sous l’Ancien Régime sous d’autres formes, permet à un enfant né sur le sol national de parents étrangers de devenir français à sa majorité, à condition d’y avoir suffisamment résidé.
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La loi asile et immigration de 2018 a déjà modifié le droit du sol à Mayotte pour contrer le phénomène migratoire, en exigeant des enfants nés sur l’île que l’un de leurs parents ait été présent de manière régulière sur le territoire depuis plus de trois mois. Une mesure visiblement insuffisante pour décourager les flux de populations, c’est pourquoi Gérald Darmanin annonce la fin du droit du sol à Mayotte.
Cette décision choc répond certes à une urgence concrète, tant la population mahoraise est excédée par l’explosion de l’insécurité et l’impuissance de l’Etat à faire respecter ses frontières. Mais elle semble entrer en contradiction avec un principe si essentiel qu’il figure à l’article 1 de la Constitution : l’indivisibilité de la République. Derrière ce mot complexe se cache une réalité simple, l’essence du jacobinisme : en France, la loi, votée par les représentants du peuple à l’Assemblée nationale, est la même pour tous.
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Un état de fait incompatible avec la suppression du droit du sol sur le seul territoire de Mayotte. L’indivisibilité de la République est toutefois, déjà, davantage un idéal qu’une réalité. Les articles 72, 73, 74 et 75 de la Constitution autorisent à adapter la loi pour tenir compte de situations particulières. Les entailles au jacobinisme sont ainsi nombreuses en pratique : si la décentralisation n’est pas (encore) allée jusqu’à permettre aux collectivités locales en métropole d’édicter leurs propres lois, la persistance du Concordat en Alsace-Moselle, les statuts particuliers accordés à la Corse et à l’Alsace ou encore les règles très spécifiques qui régissent le gouvernement de la Nouvelle-Calédonie, Wallis-et-Futuna ou la Polynésie française, en témoignent.
Une révision constitutionnelle pour mettre fin au droit du sol à Mayotte est tout de même une nouveauté. « Gérald Darmanin ne propose pas de différenciation territoriale, en permettant à Mayotte de moduler le droit applicable ou de disposer de compétences étendues, constate le maître de conférences en droit public Benjamin Morel. Là, on suspend l’application d’un droit fondamental, en l’occurrence le droit du sol, sur une partie du territoire, en invoquant des circonstances particulières. Quelque part, c’est un réflexe très colonial : on estime que l’égalité, c’est bien… mais pas là-bas. » Sur le fond, les macronistes semblent déjà avoir renoncé à l’indivisibilité de la République : la loi « 3DS » sur la différenciation territoriale esquisse déjà l’idée d’une France « à la carte », où la loi change en fonction des spécificités de tel ou tel contexte local.
Gauche et droite cohérentes
Face à ce pragmatisme affiché, gauche et droite brandissent deux purismes opposés, qui ont le mérite de la cohérence. « Accepter la fin d’un droit dans un territoire français, c’est ouvrir une brèche sur la France entière, tonne Sandrine Rousseau. Les lois de la République sont une et indivisibles », ajoute l’écologiste, pourtant membre du parti le plus fédéraliste de France, pendant que le socialiste Boris Vallaud juge que « le droit du sol n’est pas négociable ». Pour la gauche, ce principe est indissociable de l’identité républicaine de la France.
La droite et l’extrême-droite, au contraire, voient dans la proposition de Gérald Darmanin une opportunité de réclamer l’abolition généralisée du droit du sol. « Il ne faut pas s’arrêter à Mayotte, il faut le supprimer dans toute la France, exhorte Eric Zemmour. C’est une des raisons majeures qui font que des millions d’Africains rêvent de venir en France, pour que leurs enfants soient français. » Le RN également s’est prononcé pour la suppression du droit du sol sur tout le territoire : « N’attendons pas que tous les autres départements ressemblent à des zones de guerre ! », a tranché Laure Lavalette, porte-parole du parti nationaliste.
Le droit du sol, gravé dans le marbre ?
Une révision constitutionnelle est-elle nécessaire pour trancher la question ? Il faudrait que le gouvernement obtienne la majorité des trois cinquièmes au Congrès, ce qui apparaît envisageable avec le soutien de la droite et de l’extrême droite. Mais pour certains juristes, il serait possible de passer par la voie législative, y compris pour supprimer le droit du sol à Mayotte comme en métropole : « Rien n’est écrit dans la Constitution ou la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen sur le droit du sol, constate Benjamin Morel. La seule manière de le graver dans le marbre serait que le Conseil constitutionnel en fasse un ‘principe fondamental reconnu par la loi de la République’ dans sa jurisprudence. »
Or un précédent existe : en 1993, alors ministre de l’Intérieur, Charles Pasqua avait mis fin au droit du sol tel que nous le connaissons en supprimant l’automaticité de l’obtention de la nationalité pour les enfants d’étrangers nés en France, qui devaient en conséquence faire eux-mêmes une demande entre 16 et 21 ans. Le Conseil constitutionnel avait alors estimé que bien que le droit du sol fût appliqué en France depuis la Révolution, sa mise en place avait été décidée pour des raisons conjoncturelles, notamment militaires.
En définitive, tout l’éventail des positions sur le droit du sol est représenté à travers cette polémique mahoraise. Comme jadis Robespierre sur l’esclavage, la gauche proclame « Périssent nos colonies, plutôt qu’un principe ! » et semble refuser de sauver Mayotte au prix du droit du sol. La Macronie sacrifie l’indivisibilité de la République et désacralise le droit du sol au nom de l’efficacité. Quant aux plus droitiers, ils excluent le droit du sol de l’identité républicaine française au nom de la préservation de la nation face au péril migratoire.
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