Dans « Disparition inquiétante d’une femme de 56 ans », l’écrivaine dresse le remarquable portrait d’une ouvrière broyée par une entreprise pharmaceutique. Et redonne vie à une vie.
Au début, une rencontre. Anne Plantagenet assiste, en 2017, au tournage d’« En guerre », de Stéphane Brizé, sur la lutte des ouvriers de l’usine Perrin d’Agen contre la fermeture annoncée par la direction. Le leader syndicaliste Laurent Amédéo, interprété par Vincent Lindon, mène la difficile contestation.
Parmi les acteurs non professionnels, Anne Plantagenet remarque une femme parmi la foule. La figurante Letizia Storti, 51 ans, est ouvrière à UPSA et élue Force ouvrière. Elle travaille sur la chaîne de production du laboratoire pharmaceutique, situé à Agen, depuis trente-quatre ans.
Quand le film est en compétition officielle à Cannes, le 15 mai 2018, l’actrice-ouvrière monte les marches du Palais des Festivals. La fille unique d’une mère handicapée et analphabète est heureuse. Elle existe, enfin.
Le rachat d’UPSA, un poignet cassé, une tentative de suicide
Entre Anne Plantagenet et Letizia Storti se noue un lien affectif. Après l’aventure du film, chacune regagne sa vie. Les nouvelles s’espacent. Le laboratoire UPSA passe sous pavillon japonais en 2019. Letizia Storti se casse le poignet. L’ouvrière est baladée de poste en poste et perd de plus en plus confiance en elle.
Elle tente de se suicider sur son lieu de travail, en mars 2021. L’hospitalisation se termine à Marseille dans une clinique. Le 2 juin 2022, une alerte paraît : « Disparition inquiétante d’une femme de 56 ans. » Où est-elle ?
Dans un récit vibrant et pudique, l’auteure de « D’origine italienne » (éd. Stock, 2019) entreprend de donner toute visibilité à une ouvrière anonyme. Anne Plantagenet sait beaucoup de choses sur Letizia Storti : ses parents italiens ; son amour pour sa mère maltraitée ; son entrée à 18 ans à UPSA ; son fils unique parti vivre à Marseille ; sa participation comme figurante dans deux films de Stéphane Brizé. L’employée habite à 7 kilomètres de l’usine. Son travail est tout pour elle.
Le récit d’une déconstruction
Anne Plantagenet analyse de manière remarquable le processus de déconstruction à l’œuvre dans la vie de Letizia Storti. Elle se casse le poignet droit ; elle n’est plus élue FO, mais simple adhérente ; elle ne trouve plus sa place dans l’usine à cause de son handicap, qui l’empêche de manier des charges lourdes ; elle devine, sans paranoïa, qu’on veut la licencier.
L’angoisse resserre ses crocs. Les larmes coulent. Plus de 50 ans, aucun diplôme, un passé syndical. Si elle perd son travail, comment en retrouvera-t-elle un ?
L’écrivaine signe son plus beau livre. Son style extrêmement précis (dates, lieux, noms) redonne vie à une vie. Anne Plantagenet ne magnifie à aucun moment Letizia Storti. Elle a décidé de ne pas en faire un personnage. L’autrice raconte une femme touchante et agaçante, broyée par plus grand qu’elle. Ses lunettes, ses cheveux. La travailleuse du Sud-Ouest voulait se faire remarquer. Elle n’y aura pas droit.
Espoirs déçus, vie brisée
«Ã¢â‚¬â€°Disparition inquiétante d’une femme de 56 ans » laisse passer la lumière dès que possible. Le récit montre la joie de vivre de Letizia Storti, l’attention aux autres de Vincent Lindon, l’humanité de Stéphane Brizé.
Anne Plantagenet ne se met jamais en avant, ne se donne jamais le beau rôle. Les questions sont toutes là : Letizia Storti n’a-t-elle pas cru qu’« En guerre » allait lui ouvrir l’horizon ? Elle a mal vécu la fin de l’aventure, l’absence de récompense à Cannes.
Quand on a menacé de lui enlever son travail, autant dire toute sa vie, elle n’a plus vu d’issue. Tout s’est rétréci, obscurci. L’ouvrière avait-elle le droit de rêver ? Non. Elle avait peur de tomber, elle est tombée. Elle avait peur de disparaître, elle a disparu. Stéphane Brizé sera à son enterrement.
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“Disparition inquiétante d’une femme de 56 ans”, Anne Plantagenet, 160 p., avril 2024, Seuil. © DR News Related-
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