Rendez-vous avec Marie S’infiltre : « Le culot, c’est ma marque »
Rendez-vous avec Marie S’infiltre : « Le culot, c’est ma marque »
Commençons par la fin. Voilà une bonne heure et demie que Marie Benoliel, 33 ans, dite Marie S'infiltre, parle et parle et parle, elle rit aussi, sirote son thé dans ce café proche du boulevard Saint-Michel (Paris 5e), s'agite beaucoup. Et puis, d'un coup, elle ralentit le débit et dit doucement : « Ça me pèse d'être ici, ça ne fait pas partie de mon processus de création. » Elle raconte qu'il y a quelques jours, elle est tombée de vélo, ce qui lui a fait du mal (elle montre un bleu persistant à la cheville) et? du bien : elle a pu s'arrêter, couper ce cerveau frénétique et se reposer, ne serait-ce que deux minutes, dans ces journées où jamais elle ne semble mollir.
Recommençons depuis le début. Une bonne heure et demie plus tôt, donc, Marie Benoliel arrive dans la microterrasse vitrée du café, une énorme doudoune beige à gros motifs colorés sur le dos et, sur la tête, une casquette à l'américaine. Elle ressemble un peu à une jeune Parisienne du quartier, élégamment maquillée, les longs cheveux noirs reliés par un chouchou avec lequel elle joue tout le temps. Elle est souriante, vive, attentive au point de s'enquérir de notre confort. Elle a un côté bonne copine, de celles que l'on côtoie sur les bancs de la fac ou au bar d'une soirée étudiante.
À LIRE AUSSI Rendez-vous avec Maïtena Biraben : « Mesdames, n'ayez pas peur : 50 ans, c'est un âge jubilatoire ! » C'est donc elle, sorte de girl-next-door un peu bourgeoise, qui montre ses fesses sur le plateau de la cérémonie des César, à côté d'un Antoine de Caunes à peine déstabilisé, elle qui s'incruste dans un défilé Chanel pour déambuler en vrai tailleur maison au milieu des mannequins ou qui dresse un doigt d'honneur devant les militants FN sur la scène d'un meeting, avant d'en être expulsée manu militari ! C'est elle, celle qui ose. « Le culot, c'est ma marque », dit-elle.
Satire géante
Marie Benoliel a fait sa vie de son envie d'ailleurs. Elle est difficilement définissable, un peu humoriste, un peu chanteuse, un peu danseuse, un peu réalisatrice, un peu stand-upeuse, beaucoup provocatrice. « J'ai créé ce monstre, Marie S'infiltre, pour faire un doigt d'honneur à tout ce que j'étais, et pour bousculer les conventions, dit-elle. Je veux montrer que dans chaque couche de la société, tout est régi par les mêmes codes tous plus ridicules les uns que les autres. J'en fais une satire géante, pour être en permanence au contact de la désapprobation. »
Marie S'infiltre sur la scène de la 47supe/sup cérémonie des César à Paris, le 25 février 2022. Elle venait tout juste de montrer ses fesses à la salle. © Marechal Aurore / Marechal Aurore/ABACA
Marie S'infiltre sur la scène de la 47e cérémonie des César à Paris, le 25 février 2022. Elle venait tout juste de montrer ses fesses à la salle. © Marechal Aurore / Marechal Aurore/ABACA
Son dimanche idéal : « Je ne connais pas ce jour de la semaine ! Le dimanche est un lundi et un jeudi et même un samedi soir? Je travaille et je m'amuse, comme tous les jours, avec beaucoup d'application et de sérieux. Avec ce métier de fou, je me suis affranchie du week-end et des angoisses contradictoires qui y étaient liées, week-end que j'attendais auparavant comme cette parenthèse enchantée de liberté et de divertissement, de repos. Aujourd'hui, pour résumer cela de manière plus triviale : je m'en tape ! »
Ses 650 000 abonnés sur Instagram peuvent regarder, chaque jour, une ou plusieurs vidéos tournées par celle qui a percé sur YouTube. Longtemps, elle n'a pas eu de smartphone car elle leur préfère les livres. Elle s'y amuse à moquer les travers des habitants d'Aix-en-Provence, Rouen ou Bordeaux. Ce n'est pas toujours très drôle mais ça décoiffe souvent. Dans ses spectacles, tout le monde en prend pour son grade, jusqu'au public. Il en redemande : Marie S'infiltre, en tournée un peu partout en France, remplit trois Casinos de Paris en mai et espère faire salle comble au Zénith de la Porte de la Villette, en décembre.
On pourrait écrire, paresseusement et selon la formule consacrée, que rien ne la destinait à cette vie de saltimbanque un peu branque. Mais c'est exact. Pour vouloir s'affranchir des conventions, il en faut beaucoup. Marie Benoliel en subit pas mal, d'autant qu'elle est plutôt très bonne élève. Fille d'avocat prospère, qui avait promis « un pactole » au premier de ses enfants qui ferait l'ENA, la jeune Marie brille à l'école. Prépa littéraire, Sciences Po, elle est à deux doigts d'entrer à Normale Sup, puis à l'ENA. « Je me suis passionnée pour la politique et la philosophie politique, ce qui était une façon de rendre hommage à mon père, très politisé », dit-elle.
À LIRE AUSSI « Une folie totale » : Sophia Aram répond à LFI après son discours aux Molières
Elle a failli faire l'ENA
Au moment d'entrer dans une prépa ENA, elle vire de bord. Elle remplace un peu par hasard son frère à un stage d'une semaine au cours Florent. C'est, on l'aura compris, la révélation. Elle s'emballe : « Tout ce que je faisais jusqu'alors, je le faisais avec frustration. J'ai toujours eu envie de réaliser quelque chose de plus grand que ce que je faisais. Cette frustration a été levée avec le théâtre. Il m'a donné la capacité d'être libre et de m'exprimer totalement. Je me suis dit : ?Je vais faire ça de ma vie, c'est ma façon d'être au monde.? Je ne pouvais pas continuer à exister autrement. C'était un truc de fou ! »
Évidemment, les parents et les amis couinent un peu. « Quand on est en prépa ENA, les gens pensent qu'on est déjà président de la République. À l'inverse, ils voient dans l'envie d'être acteur quelque chose d'un peu narcissique et vain. Avant, les gens s'extasiaient sur mon parcours, après ils se disaient : ?La pauvre?? » Elle abandonne les études mais pas son caractère. Marie Benoliel est frappée d'une sorte de syndrome de la bonne élève, comme si on avait toujours souhaité pour elle la réussite scolaire. Le conditionnement, encore. Elle vise donc, dans un premier temps, le sommet : la Comédie-Française. Mais, là encore, elle préfère sa voie. « Je me suis dit : ?Si j'ai renoncé à tout ça, c'est pour faire les choses complètement.? La bonne note, le fait de plaire, tout ça me rendait folle. Je voulais me libérer des carcans. Je crée alors Marie S'infiltre. »
Le « monstre » (c'est elle qui le dit, rappelons-le) ne s'arrête jamais vraiment. « Mais qu'est-ce qu'on se fait chier, je vais mourir d'ennui / On t'a toujours dit de bien obéir / Et de respecter, sinon c'est la fessée », dit-elle dans sa chanson étendard, Culot. Réveillée tous les matins à 6 heures, elle court, danse, chante au point de composer, durant le confinement, un album doté de titres très réjouissants. Elle tente aussi de mettre un peu de sens dans ses spectacles. « Depuis 2017, je remarque une vague de bien-pensance, on me prend alors au sérieux à un point qui me rendait dingue. Je me suis dit qu'être transgressif, ce n'était plus aller contre cette bien-pensance. A-t-on encore besoin d'une fille qui met la merde ? Je ne crois pas. Je préfère chercher à mettre du sens, de la vérité. »
À LIRE AUSSI Rendez-vous avec Martin Parr : « Plus le sujet que je traite est grave, plus je tente d'y introduire de l'humour »
C'est pourquoi Marie S'infiltre, tout en gardant son nom de scène, arrête de s'infiltrer partout. Elle produit son propre spectacle, tourne un film, prépare un autre disque, entre autres activités. « C'est toute ma vie. Je suis dans un processus de création permanente, car rien n'est aussi fort que la création. Sortir en boîte, être bourrée avec des amis fait aussi partie de ce processus, par exemple. » En revanche, discuter avec un journaliste n'en fait pas partie. Alors, après une bonne heure et demie, on l'a libérée. Elle a dit doucement, comme soulagée : « C'est vrai ? » Elle semblait gênée, la jeune femme qui ose tout.
Chaque dimanche, Le Point a Rendez-vous avec des personnalités connues et moins connues du monde de la culture, de la télé, du cinéma, de la gastronomie, du sport, de l'entreprise? Ils et elles se prêtent au jeu de l'entretien intime, nous racontent leur parcours, parfois semé d'embûches, nous livrent quelques confidences et nous donnent leur vision de la société.