«C'est une façon de vivre au-dessus de ses moyens»: ces Français qui achètent des vêtements neufs, les portent et les renvoient

«c'est une façon de vivre au-dessus de ses moyens»: ces français qui achètent des vêtements neufs, les portent et les renvoient

Avec la suppression des frais de retour, l’allongement progressif des délais de rétractation et les facilités de remboursement, rendre un vêtement n’a jamais été aussi facile.

«Disons que j’ai pris l’habitude de porter mes vêtements en gardant l’étiquette, même quand ça gratte», amorce malicieusement Camille*. Si cette vingtenaire s’astreint à cette drôle de contrainte, c’est pour une raison bien précise: contrairement à la grande majorité des clients, la jeune femme n’achète pas de vêtements pour les garder, mais plutôt pour les porter puis les rendre, en échange d’un remboursement. La mécanique, bien rodée, lui permet de s’offrir les pièces de ses rêves… à moindres frais. Baptisée «wardrobing» ou «porté-retourné», cette pratique est de plus en plus répandue parmi les consommateurs français, les jeunes en particulier.

À seulement 24 ans, la jeune femme a déjà plusieurs années de «wardrobing» à son actif. «J’ai commencé parce que l’argent que me donnaient mes parents n’était pas suffisant pour acheter les tenues dont je rêvais», explique-t-elle. «Je ne pouvais pas me ruiner pour des tenues portées le temps d’une soirée». Parisienne d’adoption, l’étudiante s’est d’abord faite la main dans les enseignes de fast fashion. «C’était très facile car en réalité, les caissiers inspectent à peine les vêtements rendus», explique-t-elle.

Grisée par ces premiers succès, elle a fini par lorgner les portiques des marques de luxe accessibles. «J’ai eu quelques moments chauds, car ce sont des marques plus regardantes, les pièces dépassant souvent 300 ou 400 euros. Mais je suis restée impassible face aux soupçons formulés par les vendeurs, et c’est toujours passé». Forte de son expérience, Camille connaît désormais toutes les ficelles pour filouter en toute impunité.

Sensible aux problématiques de surconsommation, la vingtenaire ne tient pas particulièrement à posséder ses vêtements. «J’aime le principe de louer des pièces, plutôt que de les voir pourrir au fond d’un tiroir». Elle ne s’embarrasse pas non plus des autres clients, susceptibles de racheter le vêtement préalablement porté. «Cela ne me semble pas si sale que ça», évacue-t-elle. Elle a évidemment pensé à remettre en vente ses vêtements sur Vinted, mais «c’est moins intéressant financièrement qu’un remboursement». Resquiller est aussi plus «excitant» que recycler. «Ce n’est pas du vol mais il y a quelque chose de risqué, d’abord pour soi-même», analyse-t-elle.

Un «secret de polichinelle» dans certaines professions

Camille est loin d’être un cas isolé. Obsédés par les marques – perçues comme un marqueur social, dans la vraie vie et sur les réseaux sociaux – de nombreux Français s’y adonneraient régulièrement. «C’est une façon de vivre au-dessus de ses moyens», reconnaît la jeune femme. Y compris quand on gagne bien sa vie. Jeune actif dans la finance, Clément admet y avoir recours plusieurs fois par an. «Je le fais de manière ponctuelle, lors de rendez-vous importants ou pour des photos Instagram. Je ne vois pas pourquoi j’achèterais pour acheter», souffle-t-il. Le porté-retourné fait aussi fureur dans certains corps de métiers prestigieux, comme la production audiovisuelle ou les médias. Animatrice télé, Julia* est, elle aussi, devenue une championne du «wardrobing».

Elle a commencé par emprunter des vêtements via une agence de presse qui représente les marques. «L’idée est de porter les vêtements avec leur étiquette le temps de l’émission et d’en prendre soin pour pouvoir les rendre dans la foulée», explique la trentenaire. Jusque-là, rien de répréhensible: la pratique est parfaitement en règle. Sauf que Julia a commencé à user de cette même technique pour d’autres évènements professionnels, non couverts par son agence de presse. «Pour des remises de prix ou des galas… Les vêtements des marques que j’affectionne sont absolument hors de mon budget». La présentatrice les achète donc elle-même quelques jours avant l’évènement pour les rendre ensuite la semaine suivante. Un petit arrangement avec les règles qui n’est pas sans remords pour la jeune femme. «Le plus dur, c’est de mentir face au vendeur qui vous a conseillée sur le choix de la tenue, surtout auprès de marques qui disposent d’un véritable service client et conseil…», reconnaît-elle.

Des pertes pour les enseignes

La filouterie a beau sembler anecdotique, elle ne l’est pas tant que ça pour les enseignes qui en sont victimes. D’après la chercheuse Regina Frey, auteure de nombreux travaux sur le sujet, la fraude aux retours peut réduire jusqu’à 20% la rentabilité globale d’un détaillant. Une étude publiée en 2021 par la National Retail Federation chiffre quant à elle à 7,8 milliards de dollars par an les pertes engendrées par les retours frauduleux. Même quand le vêtement est rendu en bon état, les enseignes perdraient environ 10 dollars pour chaque retour de 100 dollars accepté, en raison des frais de transport, de réception et de tri.

Aussi étrange que cela puisse paraître, le monde du prêt-à-porter semble fermer les yeux. Avec la suppression des frais de retour, l’allongement progressif des délais de rétractation et les facilités de remboursement, rendre un vêtement n’a jamais été aussi facile. Les mesures anti-«wardrobing» restent pourtant marginales. Si quelques marques misent désormais sur une deuxième étiquette voyante placée au-devant du vêtement, la plupart des enseignes se bornent à une seule étiquette, hautement dissimulable. Si l’on ajoute à cela la généralisation du paiement différé («essayez d’abord, payez après»), rien ne semble plus pouvoir empêcher l’explosion du porté-retourné.

Le silence du secteur est d’ailleurs éloquent. Sollicitées, les principales enseignes du prêt-à-porter n’ont pas souhaité s’exprimer sur le sujet. Difficile, en effet, de lutter efficacement contre le «wardrobing» sans se priver de ventes. Comme le rappelle Regina Frey, «la fast fashion repose sur le volume». Un vêtement acheté, même pour de mauvaises raisons, a toujours une forte probabilité d’être conservé par le client.

Désastre écologique

Mieux vaudrait d’ailleurs que la pièce «empruntée» reste au chaud dans une armoire. Car, si les adeptes du porté-retourné peuvent avoir le sentiment de dé-consommer (en refusant l’accumulation de vêtements), leur empreinte carbone est elle, désastreuse. En 2019, les retours d’articles – qu’ils soient portés ou non – auraient entraîné une émission carbone de 15 millions de tonnes aux États-Unis. En 2018, la note s’élevait à 238.000 tonnes en Allemagne, soit l’équivalent de 2200 trajets quotidiens Hambourg-Moscou. Les marques, qui ont pour certaines réintroduit des frais de retour à la charge du client, n’en font plus mystère. Asos indique ainsi que 12% de ses émissions totales de carbone découlent des retours clients.

Reste que les marques sont moins prolixes sur la destruction des vêtements retournés. Certaines enseignes de fast fashion ont beau montrer patte blanche sur le sujet, une large partie des articles rendus finissent toujours dans les décharges, selon Regina Frey. L’entreprise de logistique Optoro estime que 25 % des retours sont détruits par les détaillants. Pour les vêtements déjà portés et souvent défraîchis, il est fort à parier que ce pourcentage avoisine les 100%. «Il est souvent moins cher de se débarrasser des articles indésirables que de les stocker de les rafraîchir pour les revendre», explique Regina Frey. Voilà qui devrait faire réfléchir à deux fois les adeptes du «wardrobing»…

*Les prénoms ont été modifiés

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