TEMOIGNAGE. « J’essaie de faire la paix avec ma mort » : d’une leucémie aux Mondiaux d’Ironman

Dix ans après avoir vaincu une leucémie, Cyril Del Pistoia a participé aux Mondiaux de triathlon Ironman à Nice en septembre.

En 2012, Cyril Del Pistoia avait été prévenu par le corps médical : sa leucémie ne lui offrait presque aucune chance de s’en sortir. Dix ans plus tard, le Niçois est toujours en vie. Mieux, il a participé au mois de septembre aux Mondiaux de triathlon Ironman (3,8 km de natation, 180,2 km à vélo et 42,195 km en course à pied). Il cultive cette envie, proche de l’obsession, de vivre par l’intermédiaire du sport de belles aventures et de relever de grands défis. Et ne manque pas de rêves.

Un voyage aux États-Unis. Le retour, la fatigue. Un entretien d’embauche pour un stage, et quelques minutes de marche entre la sortie du RER et les bureaux de l’entreprise. Trop. Dix minutes, échoué sur un banc pour retrouver un peu d’énergie. Et l’évidence : passer des examens médicaux. Des prises de sang, et une docteur qui lui fait promettre de prendre un taxi pour les urgences, direction l’hôpital Cochin à Paris. Une contre-analyse. Une heure d’attente, puis une deuxième…

«Â Monsieur, il n’y a pas de moyen facile de l’annoncer. Vous avez une leucémie, ça va être compliqué. Si j’étais vous, j’appellerais vos proches. Bon courage. » C’est ainsi qu’à 25 ans, on a fait comprendre à Cyril Del Pistoia que ses jours étaient comptés. Ou plutôt ses heures. Qu’il n’était plus question de rêver et de se projeter dans la grande carrière professionnelle sur laquelle il était lancé, diplômé d’une école d’ingénieur et de Sciences Po.

«Ã‚ J’ai fait pas mal de belles choses, mais c’est peut-être mon tour »

L’horizon est mince : « Cette dualité entre le court terme et le long terme, entre la vie et la mort, c’est la partie la plus difficile dans un cancer. Tu essaies de te battre, mais tu dois accepter, trouver cette limite entre se battre et accepter la situation. Peu importent les efforts que tu fais, ça peut être inutile et la probabilité que tu ne te réveilles pas demain matin existe. La gestion du sommeil est compliquée. C’est très difficile de s’endormir. »

Dans sa chambre stérilisée, Cyril Del Pistoia dresse le bilan de son existence. « J’essaie de faire la paix avec ma mort. Je me dis que je suis assez content. J’ai grandi dans un HLM à Nice mais j’ai plutôt bien réussi. J’ai voyagé, découvert la Chine et la Russie. J’ai servi la Marine nationale, j’ai été déployé au large de La Réunion dans la lutte contre la piraterie. J’ai fait pas mal de belles choses mais c’est peut-être mon tour. »

C’était en 2012. Le Niçois a reçu un traitement très dur. On lui a administré un traitement par chimiothérapie prévu pour les adolescents. Car plus le malade est jeune, plus il est capable d’en supporter de fortes doses, et plus les chances de s’en sortir sont grandes. Il n’y avait plus rien à perdre. Les jours étaient moroses, enfermé dans une chambre stérilisée. La moindre infection, la moindre agression venue de l’extérieur pouvait tuer.

Celui qui vit désormais à Los Angeles, aux États-Unis, s’en est finalement sorti grâce à une greffe de moelle osseuse. Il est aujourd’hui… un Ironman. Cyril Del Pistoia a en effet participé en septembre aux Championnats du monde de ce format extrême du triathlon (3,8 km de natation, 180,2 km à vélo et 42,195 km en course à pied). C’était chez lui, à Nice, grâce à une invitation de l’organisation, touchée par son histoire. Il a franchi la ligne en 14 h 22 et regretterait presque ces quelques minutes de récupération, allongé dans l’herbe sur les routes du marathon. Il porte encore les stigmates de son combat : sa leucémie lui a notamment fait perdre 40 % de ses capacités pulmonaires et diminue sa résistance à la chaleur.

Peu importe, finalement. « Je voulais faire quelque chose dont je ne me pensais pas capable avant de tomber malade. En étant capable de faire quelque chose que je n’aurais jamais pu faire avant, je me prouve à moi-même que je suis de retour. Que je suis une version plus grande de moi-même, que je ne suis pas diminué par cette épreuve. »

C’est déjà avec cette philosophie qu’il avait bouclé son premier Ironman, pour marquer les cinq ans de sa rémission, il y a… cinq ans. Un anniversaire symbolique, qui correspond à la date pour laquelle la probabilité de le voir rechuter est la même que celle qu’une personne dite « lambda » soit diagnostiquée. Il raconte ce défi un peu dingue, dans les rues de Paris avec son meilleur ami. « On est allé à la piscine, on a nagé 3,8 km. Non, on a même fait 4 km !, corrige-t-il. On a pris 200 m de marge pour être certain de les avoir faits. On est rentré à mon appartement, on a pris les vélos et on a fait 180 km sur le circuit de l’hippodrome de Longchamp. Et ensuite, on est parti faire 42 km en plusieurs boucles. On avait mis l’eau et la nutrition dans la boîte aux lettres de mon appart’. On avait chacun une clé, ça faisait un ravitaillement. »

«Ã‚ Je n’ai pas écouté les moqueries »

De la sortie de l’hôpital à cette journée symbolique, Cyril Del Pistoia s’est battu avec cet objectif, un jour, de pouvoir conclure un triathlon Ironman. Même lorsqu’il a fallu réapprendre à marcher, qu’il pesait moins de 50 kg et que rester assis sur un lit sans dossier pour le soutenir était déjà une victoire. Encore plus quand, les mois suivants, il s’accrochait trente ou quarante minutes pour accéder à la porte de son domicile, situé au 6^e étage sans ascenseur. « Je me suis remis doucement mis à la course à pied, se souvient-il. Mais on parle de distance de moins d’1 km au début, et très lentement. Petit à petit, tout doucement, j’ai augmenté. Quand je travaillais sur les bateaux, quand j’avais un peu de temps, sur le pont arrière, je faisais une pompe, deux pompes, trois squats. Les gens, ça les faisait rire quand je leur disais que je voulais devenir un Ironman. Mais, je n’ai pas écouté les moqueries. »

Cyril Del Pistoia court chez lui, à Nice.

LIRE AUSSI. « Jour de course, c’est jour de fête » : Anaïs Quéméner, le rêve olympique après le cancer

Chaque anniversaire de rémission est marqué par un défi. À sa huitième année, le Niçois a intégré l’équipe de France des greffés et participé aux Jeux mondiaux d’hiver au Canada. Bilan : quatre médailles d’or en biathlon, en ski de fond et en course à pied en raquettes. Il a également passé son permis avion, d’abord, puis son permis hydravion en Alaska il y a quelques semaines : « Je vois le sport comme un moyen d’accomplir de grandes choses. La question de la mort est un peu omniprésente pour quelqu’un dans ma situation, parce que je sais que j’ai une probabilité beaucoup plus élevée que la moyenne d’attraper un autre cancer. »

À 35 ans, il planche déjà sur de nouvelles performances du même acabit. L’UTMB ? Le Marathon des Sables ? Un tour du monde comme pilote d’avion ? Autant de nouveaux combats en perspective. Et ce n’est pas mentalement que ça lâchera.