Transport des passagers, paquebots géants : de la migration au tourisme de masse… et après ?

Le géant des mers, plus grand paquebot du monde « Wonder of the Seas » de la compagnie Royal Caribbean Cruise Line quiite les chantiers de l’ Atlantique de Saint Nazaire. (Photo Franck Dubray)

Le Paraguay, le Normandie, le France, Wonder of the seas… Le transport des passagers raconte des histoires très différentes selon l’époque, les bateaux et les passagers. Au musée national de la Marine, qui a rouvert ses portes à Paris après plus de six ans de travaux, les transatlantiques d’hier stimulent l’imaginaire mais les paquebots d’aujourd’hui suscitent le débat.

À l’occasion de réouverture du musée national de la Marine le 17 novembre, au Palais de Chaillot à Paris, Ouest-France vous propose, du 9 novembre au 9 décembre 2023, une série de reportages et de contenus inédits sur la rénovation et la transformation de ce lieu imaginé en 1748. Aujourd’hui, visite de la mezzanine consacrée au transport de passagers avec Gabriel Courgeon chargé de recherches et de conception.

Au cœur de la première traversée – En passant par Le Havre, les routes de la consommation – au milieu de containers transformés en vitrine, le visiteur est invité à gravir un escalier pour se retrouver dans une ambiance intimiste. « L’enjeu de cette mezzanine est de raconter la grande histoire du transport des passagers, sachant que cette histoire est attendue par les visiteurs », indique Gabriel Courgeon, chargé de recherches et de conception.

La maquette du Paraguay est ouverte sur toute une partie et permet de se faire une idée de la manière dont étaient disposés passagers, marchandises et machines.

Maquettes de paquebots, vaisselles Art déco, tenues d’équipage… Dès la dernière marche franchie, un rapide regard circulaire convoque l’imaginaire de chacun. Pour certains, des images du faste des salles à manger du Titanic s’invitent subrepticement. Pour d’autres, ce sont plutôt celles de l’équipage de La croisière s’amuse, dans un registre plus comique. Peu pensent aux images sombres d’Ellis Island, comme dans The Immigrant… Du moins, pas immédiatement.

XIXe siècle : une vague d’immigration

Pourtant, c’est bien par l’immigration que commence la grande histoire du transport des passagers au XIXe siècle. Et avec le transport postal. Une grande vague de migrants européens en quête d’une vie meilleure part vers cet eldorado qu’est l’Amérique. « À cette époque, la propulsion des bateaux est encore mixte – voile et vapeur – et le paquebot transporte à la fois des marchandises et des passagers », relate Gabriel Courgeon tout en montrant la maquette du Paraguay. Le paquebot a quitté Le Havre en 1896 et a relié Buenos Aires en quinze jours.

La maquette du paquebot Normandie, construit aux Chantiers de l’Atlantique.

«Â L’histoire de transport des passagers commence avant 1896, mais on a choisi de montrer le Paraguay car c’est un chef-d’œuvre des collections », précise le chargé de recherches. La maquette est ouverte sur toute une partie et permet de se faire une idée de la manière dont étaient disposés passagers, marchandises et machines. Un casque de réalité virtuelle permet de la compléter par une visite du bateau et une remise en contexte des conditions de vie à bord. « Elles étaient assez dures pour les migrants, rappelle Gabriel Courgeon. Cette clientèle est importante pour les Compagnies de l’époque qui n’hésitent pas à entasser les gens dans des conditions difficiles. »

C’est l’époque des classes qui ne se mélangent pas. Trois plus précisément, dont une aisée qui voyage dans le confort relatif de la fin du XIXe. Des ponts leur sont attribués et les heures de sortie sur le pont extérieur ne sont pas les mêmes. Les passagers, selon leur classe, ne se rencontrent pas. C’est aussi l’époque où l’on part, sans certitude de rester, avec une malle remplie de sa vie d’avant. « L’application La Boussole montre les différents contenus de la malle en fonction des classes sociales », ajoute le chargé de conception.

Années trente : le Normandie symbole de fierté française

Changement de vitrine et de décor. Entre les deux guerres, les paquebots transatlantiques deviennent des palais flottants avec la notion de villégiature. Les compagnies se battent pour s’arracher les clientèles les plus aisées. Une émulation se crée pour construire les paquebots les plus performants. Sur le Normandie, l’art déco est à l’honneur. Quatre vitrines présentent la vaisselle des quatre repas de la journée, standing high level. La concurrence entre les paquebots ne se limite pas aux prestations de luxe mais se joue aussi dans les salles de machine avec comme défi technique, rejoindre les États-Unis le plus vite possible.

Sur le Normandie, l’art déco est à l’honneur. Au musée national de la Marine, quatre vitrines présentent la vaisselle des quatre repas de la journée, standing high level.

Construit dans les chantiers de Saint-Nazaire, le Normandie quitte Le Havre pour New York en 1935. Cette première traversée est relatée dans les journaux par Colette et Blaise Cendrars. Lui s’attache à l’aspect mécanique et à l’équipage, elle s’attarde davantage sur la décoration et l’ambiance festive qu’elle n’apprécie pas forcément. Les lecteurs, eux, veulent surtout savoir si le plus grand paquebot du monde au moment de sa mise en service commercial va battre le record de traversée de l’Atlantique. « Le Normandie gagne Le Ruban bleu dès sa croisière inaugurale, rappelle Gabriel Courgeon. Mais il le perd rapidement ensuite. »

Lancement du paquebot le France, le 11 mai 1960.

Cloué à quai aux États-Unis pendant la Seconde Guerre mondiale, il est réquisitionné par les Américains pour le transformer en transport de troupes. Pendant cette transformation, il prend feu en 1942. Triste fin pour le plus beau et le plus luxueux paquebot jamais construit, véritable symbole du savoir-faire et de l’art de vivre de la France des années trente…

Années 1970 : en croisière sur le France

Heureusement, la vitrine consacrée au paquebot France, le troisième du nom mis à l’eau en 1960, redonne le sourire. On y voit les différents métiers de l’équipage à travers leurs costumes. On y voit également des objets de loisirs et de farniente, dont le symbolique transat, apparu dès le XIXe siècle sur les paquebots sous le nom de chaise de pont. Fabriqué en bois ou en rotin, il prend vite le diminutif « transat » pour transatlantique.

«Â En 1960, le France est lancé pour rejoindre New York en passant par l’Angleterre, mais il va vivre la fin des traversées transatlantiques », prévient Gabriel Courgeon. Entre crises économiques et concurrence de l’aviation, transporter des passagers en bateau pour relier les États-Unis n’est plus rentable. À partir des années 1970, le France se transforme en paquebot de croisière jusqu’à l’annonce de son arrêt en 1974 par le Premier ministre Jacques Chirac, malgré la promesse de campagne du président Valéry Giscard d’Estaing. La dernière chaudière est arrêtée le 29 avril 1975. « L’arrêt du France a créé un choc pour l’équipage, rappelle Gabriel Courgeon. Nous avons voulu mettre en avant cette dimension humaine à travers les personnes qui y ont travaillé. »

Une maquette du Wonder of the Seas, géant des mers, roi du tourisme de masse.

Années 2020 : vers un retour à la voile ?

«Â Nous avons des collections très historiques mais le projet du nouveau musée était aussi de l’ouvrir au présent et de mettre un pied dans le futur en faisant rentrer de nouveaux objets », explique Gabriel Courgeon en montrant deux nouvelles maquettes fabriquées par les chantiers atlantiques de Saint-Nazaire. La vitrine juxtapose un immeuble flottant – Wonder of the seas – à un projet de navire à voile, plus fin, plus petit et plus sobre. Le contraste est saisissant.

D’un côté, un tourisme de masse et une course au mètre. « Même si ce type de paquebot questionne énormément aujourd’hui sur l’accès au loisir et la protection des ports, il y a une réflexion des constructeurs sur la question de la propulsion pour limiter et contrer l’émission de gaz à effet de serre », tempère Gabriel Courgeon.

De l’autre, une nouvelle génération de navire plus respectueux de la planète (et plus onéreux ?) mais en quête d’armateur. Cette vitrine moderne invite à débattre et le visiteur descend de la mezzanine avec des images plein la tête… et de nombreux questionnements.

Le cargo Canopée et ses voiles en forme d’ailes : l’avenir du paquebot ?

Retrouvez ici tous les épisodes de notre dossier spécial consacré à la réouverture du musée national de la Marine, à Paris, le 17 novembre :

Épisode 1. Réouverture du musée national de la Marine, le 17 novembre, à Paris : gratuit, festif et pour tous

Épisode 2. Les enjeux maritimes d’aujourd’hui et de demain au cœur d’un musée nouvelle génération : entretien avec Vincent Campredon, son directeur

Épisode 3. À Paris, notre visite exclusive du musée de la Marine avec les architectes qui l’ont transformé.

Épisode 4. Au musée national de la Marine, à Paris, personne ne reste à quai

Épisode 5. EN IMAGES. Les cinq objets de collection incontournables du musée national de la Marine

Épisode 6. C’est unique : le musée national de la Marine, à Paris, a créé son propre parfum

Épisode 7. La coque, les conteneurs, la vague et la Réale : des repères spectaculaires au musée de la Marine