Procès de Monique Olivier : Les femmes tueuses ou violeuses, l’ultime tabou ?

A partir de ce mardi s’ouvre le procès de Monique Olivier pour trois crimes qu’elle a confessé avoir commis avec son ex-mari, Michel Fourniret. Un procès qui oblige la société à penser le crime au féminin

procès de monique olivier : les femmes tueuses ou violeuses, l’ultime tabou ?

Monique Olivier, la femme de Michel Fourniret, est jugée pour la troisième fois aux assises pour trois crimes. Pourquoi est-ce si compliqué de concevoir le crime au féminin, en particulier lorsqu’il est de nature sexuel ?

MEURTRIERE – A partir de ce mardi s’ouvre le procès de Monique Olivier pour trois crimes qu’elle a confessé avoir commis avec son ex-mari, Michel Fourniret. Un procès qui oblige la société à penser le crime au féminin

Pendant longtemps, Monique Olivier fut surnommée « la femme de l’ogre ». L’ogre, c’est Michel Fourniret, l’un des tueurs en série les plus actifs de ces dernières décennies, condamné pour huit meurtres ou assassinats, précédés de viols ou tentatives pour sept d’entre d’eux. Il en a reconnu trois autres du bout des lèvres avant de mourir, en 2021. Avant de rencontrer celle qui fut sa femme pendant vingt-et-un ans, Michel Fourniret n’avait jamais tué. Et les experts en sont convaincus : sans lui, Monique Olivier ne serait pas devenue une telle criminelle. C’est ensemble qu’ils sont devenus ce tel tandem meurtrier.

Déjà condamnée pour cinq meurtres et un viol en réunion, Monique Olivier est jugée à partir de ce mardi pour complicité dans l’enlèvement et le meurtre de deux jeunes femmes, Marie-Angèle Domèce et Joanna Parrish, en 1988 et 1990, ainsi que dans l’enlèvement et la séquestration d’Estelle Mouzin en 2003. Dans ses aveux, circonstanciés et répétés au fil de l’instruction, elle a reconnu avoir joué un rôle actif. Dans les deux premiers dossiers, elle était dans la voiture – enceinte de sept mois la première fois, avec son fils la seconde – pour « rassurer » les victimes et les pousser à monter dans le véhicule, et était là lorsqu’elles ont été violées puis tuées. Dans l’affaire Mouzin, elle a fourni un alibi à son mari et gardé la fillette sachant le tragique destin qui l’attendait. Alors pourquoi Monique Olivier n’est-elle « que » la femme de l’ogre et non l’ogresse ? Pourquoi est-ce si compliqué de concevoir le crime au féminin, en particulier lorsqu’il est de nature sexuel ?

3,7 % de femmes en détention

«Ã‚ Les femmes commettent moins de crimes et délits que les hommes mais elles sont capables des mêmes atrocités, leur dangerosité peut être équivalente », précise d’emblée Catherine Ménabé, maître de conférences en Sciences criminelles à l’université de Lorraine et auteure de La Criminalité féminine. Commençons par les statistiques. Au 1er mars 2023, sur plus de 72.000 détenus en France, seules 3,7 % étaient des femmes. Un chiffre qui n’a jamais excédé plus de 4 % depuis les années 1980. Comme pour les hommes, la grande majorité des détenues le sont pour des délits, des atteintes aux biens ou aux personnes essentiellement. En 2022, selon le ministère de l’Intérieur, les femmes ne représentaient que 9 % des mises en cause dans les affaires d’homicide, et seulement 3 % dans les dossiers de violences sexuelles.

Des chiffres qui seraient toutefois sous-évalués, selon Catherine Ménabé. « Lorsqu’on réalise des enquêtes au sein de la population, on se rend compte que les femmes, lorsqu’elles sont auteures principales ou complices, sont moins dénoncées que les hommes. » C’est particulièrement vrai dans les affaires de viols ou d’agressions sexuelles visant des mineurs. Comme dans la majorité de ces dossiers, l’agresseur – en l’occurrence l’agresseuse – fait partie du cercle proche de la victime. « On touche là à un tel tabou de notre société qu’on préfère se mettre des œillères pour ne pas remettre en cause la perception du genre féminin. La femme reste considérée comme la mère symbolique, la garante du foyer, celle qui élève et protège », insiste la chercheuse. En clair, on peine à imaginer une femme prédatrice. Beaucoup moins un homme. La femme est victime. L’homme est bourreau.

« On touche à un tabou absolu »

L’histoire criminelle, pourtant, ne manque pas d’exemple. Myriam Badaoui a ainsi été condamnée en 2004 dans l’affaire d’Outreau à quinze ans de réclusion pour avoir violé ses quatre enfants ainsi que ceux de ses voisins. Elle a également été reconnue coupable d’agressions sexuelles sur dix enfants, de proxénétisme sur ses quatre fils et de corruption sur onze enfants. Mais le tabou autour de la cruauté féminine est tel que même lorsque les femmes sont mises en cause, la société tente bien souvent de chercher dans leur geste une explication presque rationnelle. On évoque alors souvent une forme d’emprise masculine ou on cherche un événement traumatique pour expliquer le passage à l’acte. « Ça permet de conforter un préjugé, ça ne peut pas être une pulsion, sinon, il faut remettre en cause le regard qu’on pose sur les femmes », poursuit la chercheuse.

Dans son ouvrage Femmes bagnardes, l’historienne Odile Krakovitch note qu’au XIXe siècle, les criminelles sont décrites comme « des amoureuses passionnées », des inconscientes. Mais cette indulgence cesse lorsqu’elles assument leurs actes. Elles passent alors du statut de « manipulée » et « vulnérable » – presque victime – à celui de « manipulatrice » et « calculatrice ».

On retrouve cette bascule dans le traitement de l’affaire Monique Olivier. A partir du moment où elle reconnaît son implication pleine et entière, certains la dépeignent comme le « cerveau » de ce tandem. Ils s’appuient notamment sur une expertise – aujourd’hui très décriée – la dépeignant comme surdouée (les derniers tests la placent, au contraire, en deçà de la moyenne). « C’est la première fois que j’assiste à un tel retournement : on veut faire de la complice la principale responsable, quitte à tordre les faits. On oublie que c’est Fourniret qui viole et tue », déplore son avocat, Me Richard Delgènes. « En rendant une criminelle hors norme, surdouée par exemple, on l’éloigne de nous, complète Catherine Ménabé. Ce n’est pas une femme lambda qui commet un tel crime, ce n’est pas nous, cela permet de ne pas mettre en cause la croyance rassurante qu’une femme, mère de surcroît, ne peut pas faire ça. »

70 % des infanticides commis par des femmes

Lorsqu’on se replonge dans les chiffres, il y a pourtant un crime pour lequel les femmes sont surreprésentées : les infanticides. Selon une étude de l’Observatoire national de la délinquance (ONDRP), entre 1996 et 2015, sur les 325 condamnations pour cette infraction, 70 % l’ont été à l’encontre de femmes. En réalité, lorsque la victime est un nourrisson, le meurtrier est presque systématiquement sa mère. Plus il grandit, plus le ratio entre homme et femme auteur s’équilibre. L’affaire Courjault et les deux nourrissons gardés dans le congélateur ont marqué l’imaginaire collectif. On imaginait avoir atteint un extrême. L’année suivante, en 2010, Dominique Cottrez reconnaissait être l’auteure de huit infanticides. Les cadavres ont été retrouvés dans le jardin. Pour expliquer pourquoi elle avait étouffé à huit reprises ses nouveau-nés, elle avait expliqué avoir été victime d’inceste avant d’avouer, à son procès, avoir menti. Il faut alors se représenter le crime tel qu’il est, nu, sans vernis.

Ce biais lié au genre se retrouve-t-il dans la manière dont les femmes sont considérées par la justice ? Jusqu’en 2016, par exemple, celles qui étaient de retour de Syrie ou d’Irak n’étaient pas systématiquement mises en examen, la justice ayant tendance à penser que leur départ s’était fait sous l’influence de leur conjoint. L’attentat raté des « bombonnes de Notre-Dame » cette même année – un commando de femmes – et le constat que de nombreuses revenantes, bien loin de l’image de la femme au foyer soumise que renvoyait l’État islamique, étaient aussi radicalisées que les hommes, a profondément changé leur traitement judiciaire. Toutefois, selon une étude de l’Insee de 2021, les femmes font, à chaque étape, l’objet d’un traitement judiciaire moins lourd que les hommes : en 2019, elles représentaient 17 % des mis en cause déférés devant le parquet mais 10 % des personnes condamnées et 3,3 % des personnes incarcérées. Selon l’étude, la principale raison s’explique par la moindre gravité des faits pour lesquels elles sont poursuivies.

Les femmes moins lourdement condamnées ? Rien ne le prouve

Quid des condamnations ? A vrai dire, la comparaison entre homme et femme pour un même type de crimes ou délits s’avère périlleuse car pour chaque affaire, au-delà des faits, on juge la personnalité de l’auteur, ses antécédents, les circonstances… Dans les crimes conjugaux, par exemple, les femmes qui ont tué leurs maris sont souvent présentées comme des victimes. Beaucoup invoquent la légitime défense. Même lorsque celle-ci n’est pas retenue, les peines sont parfois légères. Valérie Bacot, par exemple, a été condamnée à un an de prison ferme pour l’assassinat de son ex-compagnon. L’enquête avait montré que celui-ci – qui était à l’origine son beau-père – l’avait violée, prostituée, battue depuis des années. La condamnation est clémente mais le jury, comme dans n’importe quelle affaire, a pris en compte les circonstances ayant conduit à l’acte.

A l’inverse, les précédentes condamnations de Monique Olivier – la perpétuité pour quatre meurtres et un viol et vingt ans pour un autre meurtre – ne semble ni clémente, ni particulière sévère au regard des faits. « L’opinion publique peut penser qu’une femme est moins dangereuse qu’un homme, la justice beaucoup moins », insiste Catherine Ménabé. Dans le procès qui s’ouvre aujourd’hui, la criminelle, âgée de 75 ans, risque de nouveau la perpétuité.

Faits diversAffaire Fourniret : Manipulable, sous emprise… Monique Olivier, une criminelle pas si intelligente que ça ?SociétéLes personnes âgées bénéficient-elles d’un traitement de faveur devant la justice ?

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