Procès des anti-bassines de Sainte-Soline : comment l'Etat a durci sa réponse face à la radicalité des militants écologistes

Plus nombreux et plus visibles lors de leurs actions, les défenseurs de l’environnement usent parfois de modes d’expression radicaux face à l’urgence climatique. L’Etat y répond par de la répression, de la surveillance et de la fermeté.

Une foule patiente devant le tribunal judiciaire de Niort et scande plusieurs slogans. L’un d’eux s’adresse au ministre de l’Intérieur : “Nous sommes tous des écoterroristes !” De l’autre côté de la barrière, des gendarmes montent la garde. La scène se déroule début septembre, jour du procès des opposants aux “méga-bassines” de Sainte-Soline, avant le renvoi de l’audience au mardi 28 novembre. Neuf militants écologistes et responsables syndicaux sont jugés pour l’organisation de rassemblements interdits dans la petite commune des Deux-Sèvres, quelques mois plus tôt, alors qu’ils contestaient l’installation des retenues d’eau géantes, destinées à l’irrigation agricole. Le clivage entre les deux camps avait atteint son paroxysme au détour d’une déclaration de Gérald Darmanin, après les affrontements violents entre forces de l’ordre et les opposants aux bassines en octobre 2022. Le ministre de l’Intérieur avait assimilé les “modes opératoires” d’une partie des manifestants à “de l’écoterrorisme”.

Au-delà des mots employés par le locataire de la Place Beauvau, l’Etat a bien musclé sa réponse face à des militants plus visibles et plus nombreux, qui n’hésitent pas à durcir leurs actions. “On va juger des personnes qui défendaient une cause juste et qui ont fait face à un Etat prêt à déployer des milliers d’hommes”, fustige Julien Le Guet, porte-parole du collectif Bassines non merci.

“C’est un procès politique !”

Julien Le Guet, militant anti-bassines

à franceinfo

Poursuivi pour “participation à un groupement en vue de la préparation de violences contre les personnes” et “destructions ou dégradations de bien”, le porte-parole réfute ces accusations. A la barre, il défendra la sauvegarde de l’intérêt général : “J’espère que le juge va comprendre ce qui nous pousse à nous battre pour un monde meilleur et à nous inscrire dans des actions de désobéissance civile”, cette forme d’activisme qui consiste à commettre un acte illégal non-violent pour un motif politique ou idéologique.

Des modes d’action qui ont changé

Si certains occupent des champs pour défendre la ressource en eau, d’autres jettent de la peinture sur des tableaux, s’enchaînent sur le périphérique parisien ou bloquent l’aéroport du Bourget contre l’utilisation des jets privés. Il arrive aussi que des militants comme Thomas Brail entament une grève de la faim pour dénoncer le projet d’autoroute A69 entre Toulouse et Castres. Pour Sylvie Ollitrault, directrice de recherche au CNRS et spécialiste du militantisme écologique, “les modes d’actions se sont transformés avec le sentiment d’urgence”. Une nécessité d’agir qui anime Adrien et Thomas, militants chez Greenpeace. Eux ont été jugés en appel à Paris, en octobre, pour délit d’entrave à la circulation – ils avaient été relaxés en première instance – après avoir déployé une banderole “Amazonie en feu, Macron toujours complice” sur un camion de pompiers garé à quelques mètres de l’Elysée.

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Les deux hommes prônent la non-violence. “On n’a aucun intérêt à bloquer une route, le but est de faire passer un message”, expliquent-ils. Ce qui n’est pas toujours entendu. A leur procès, le ministère public a requis des amendes de 600 à 800 euros, craignant qu’une relaxe fasse jurisprudence et que “chacun puisse dire qu’il veut sauver la planète”. “Que se passe-t-il s’il y a un incendie, une bombe, un attentat terroriste au moment où votre camion bloque la rue ?” a plaidé la procureure. Le jugement a été mis en délibéré.

Dans une autre affaire, Pauline a été condamnée à 500 euros d’amende pour “vol en réunion” après avoir décroché un portrait d’Emmanuel Macron en 2019 dans une mairie lors d’une campagne visant à dénoncer son inaction climatique. Pour elle, le procès était “comme une tribune médiatique”. Il a aussi servi à alerter sur le traitement reçu par les militants. “On est préparés à subir une garde à vue, des fouilles et même à avoir un casier judiciaire. On sait qu’on entre dans une sphère assez violente”, affirme-t-elle après avoir fait appel de sa condamnation devant la Cour européenne des droits de l’homme.

“S’il n’y a pas de confrontation, pas de conflit, une action ne marche pas.”

Pauline, militante écologiste

à franceinfo

Face à l’urgence climatique, de nombreux activistes interrogés souscrivent désormais à la radicalité. Une position de rupture qui peut s’exprimer dans des actions pacifiques, mais aussi de manière plus violente, comme à Bouc-Bel-Air (Bouches-du-Rhône), lorsque plusieurs dizaines de militants ont causé d’importants dégâts dans une cimenterie du groupe Lafarge en décembre 2022.

L’Etat rejette “toute criminalisation”

En face, l’Etat n’hésite plus à employer les grands moyens pour cadrer la contestation. En juin, le ministre Gérald Darmanin avait ordonné la dissolution du collectif Les Soulèvements de la Terre, dont il avait dénoncé le “recours à la violence”. “Sous couvert de défendre la préservation de l’environnement”, le collectif “incite à la commission de sabotages et de dégradations matérielles, y compris par la violence”, justifiait l’exécutif dans son décret. Une dissolution annulée depuis par le Conseil d’Etat.

“Les pouvoirs publics ont moins de prise sur ce type de mouvement, dont les modes d’expression et les propositions sont plus radicales. Ce qui peut faire peur à l’Etat.”

Sylvie Ollitrault, spécialiste du militantisme écologique

à franceinfo

La chercheuse observe un durcissement de la réponse des autorités depuis la vague d’attentats du milieu des années 2010, caractérisé par de la surveillance et des “arrestations préventives”.

Sollicité par franceinfo, le ministère de l’Intérieur réfute de son côté “toute criminalisation et répression du mouvement écologiste”. Il affirme pourtant que l’Etat redouble de “vigilance pour tous les mouvements violents” et surveille notamment “certains membres de la mouvance écologiste radicale”. Le 5 octobre, devant la commission d’enquête parlementaire sur les groupuscules violents, Gérald Darmanin avait d’ailleurs affirmé que 3 000 personnes d’ultragauche étaient fichées S en France. Pour les surveiller, le gouvernement s’appuie depuis 2019 sur la cellule de renseignement Demeter, créée au sein de la gendarmerie, qui entend lutter contre les actes délictueux visant le monde agricole ou prévenir les “actions de nature idéologique”. Plus récemment, le ministère de l’Intérieur a aussi mis en place une “cellule anti-ZAD” (pour “zone à défendre”).

Un “manque de retenue” de l’Etat ?

Sur le terrain, les membres des collectifs des Tanneries et des Lentillères à Dijon avaient ainsi découvert en début d’année deux dispositifs de vidéosurveillance camouflés près de leur espace autogéré. Ils avaient dénoncé une surveillance policière “illégale”, selon Le Bien Public. Julien Le Guet avait lui retrouvé un traceur GPS sous sa voiture, ce qui a été confirmé par la préfecture des Deux-Sèvres, sollicitée par France 3 Nouvelle-Aquitaine. Le militant dénonce également des écoutes téléphoniques et déplore que la cellule Demeter ait placé des caméras de vidéosurveillance devant le domicile de son père, où se tenaient des réunions de son collectif en mars 2022.

“Aujourd’hui, des militants écologistes subissent un traitement digne de l’antiterrorisme.”

Julien Le Guet, militant anti-bassines

à franceinfo

Résultat, “il y a des choses dont je ne discute pas au téléphone, comme les prochaines mobilisations ou les modalités d’action”. L’ONG Greenpeace évoque de son côté “une généralisation de la volonté répressive du politique et des militants environnementaux considérés comme des ennemis de la République”.

La Ligue des droits de l’homme et l’ONU s’étaient inquiétées d’un “manque de retenue” et d’un usage “disproportionné” de la force par les gendarmes présents à Sainte-Soline. “En criminalisant les défenseurs de l’environnement, en discréditant ceux qui utilisent des formes conventionnelles et nouvelles de militantisme, on criminalise la cause qu’ils défendent”, alertait Michel Forst, rapporteur spécial des Nations unies sur les défenseurs de l’environnement, dans Libération.

Reste une question. Entre des militants de plus en plus déterminés et des autorités plus fermes, jusqu’où le clivage peut-il se creuser ? Pour Sylvie Ollitrault, la “réconciliation” n’est pas vraiment envisagée. Les nouveaux militants écologistes “montrent un attrait pour des actions radicales plutôt que pour la distribution de pétitions. Or, quand un Etat commence à réprimer fortement un phénomène de résistance, il a tendance à se radicaliser. Et certains vont entrer dans la clandestinité.”

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